Le nihilisme destructeur d’une certaine jeunesse de droite

Réflexions publiées dans La Gazette Royale N°151.

Tout jeune « droitard » digne de ce nom possède dans sa bibliothèque des ouvrages sur les jeunes soldats de Diên Bien Phû, parachutistes morts en héros à l’âge de 18 ans pour défendre une noble cause que la République avait trahie. Et de donner dans des célébrations d’un esprit d’insouciance et de sacrifice héroïque sur fond de Cyrano de Bergerac et de cette fameuse boutade : « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile. »

Tout aussi représentatif de ce détachement, que l’on pourrait qualifier d’aristocratique, est l’attitude du héros d’Héliopolis de Jünger, qui mène un combat politique plein de désillusion et d’amertume, ne trouvant de plaisir que dans la contemplation de sa collection d’incunables, d’auteurs oubliés parce que désuets, et qu’un artisan de génie, à la clientèle choisie, lui relie sur demande.

De là à la fascination pour les causes perdues, il n’y a qu’un pas, et nombreux sont ceux qui font de leur caractère de victimes de la modernité, de la société de consommation, du marxisme des élites sorbonnardes — remplacer par le nom du méchant du moment — une fierté et le véritable fondement de leurs idéaux. Cela devient plus grave lorsque cette victimisation revendiquée sert d’alibi pour excuser des échecs, ou expliquer que l’on borne son combat politique à fumer des « gauloises » ou à se priver — osons le mot — de « macdos » érigés en symbole de la pieuvre capitaliste.

Le véritable esprit aristocratique est celui qui sait s’élever au-dessus des contingences pour mieux sacrifier à la nécessité. Il sait en retour que cette nécessité ne saurait se résumer à une attitude esthétique de contemplation détachée d’un monde où l’on refuse d’agir, parce que l’on est trop fainéant pour le faire. Et le mauvais cynique, se vautrant dans un mépris célinien et se réfugiant derrière les « Hussards » pour justifier son manque d’engagement, évoque plus les lycéens fumeurs de «joints» qui se qualifient d’épicuriens, que tout autre modèle dont il se revendique bien à tort.

Mais c’est un nihilisme d’adolescents en mal de mythe pour qui l’idéal est plus une posture de dandy qu’une question de survie intellectuelle.

Un ancien cadet des écoles militaires impériales prussiennes, des corps francs de la Baltique appelés « Division de fer » ou « Reichswehr noire » et composés d’ouvriers, d’officiers et d’étudiants, des barons baltes se battant pour leur culture et leur terre face à des bataillons de communistes lettons… Pour toute une frange plus évoluée et plus intellectuelle de l’extrême droite, les Réprouvés de Ernst Von Salomon sont un condensé de ce qu’il est convenu d’appeler le Mythe.
Mais ce mythe — le nom de l’ouvrage est à cet égard significatif — c’est aussi celui d’une lueur de gloire qui plane sur les tombes, d’une vie brûlée à vingt ans dans l’enivrement de l’action, d’un combat sans fin et sans but autre qu’une rédemption personnelle et collective par le sang versé. C’est le mythe paradoxalement ambivalent des damnés de la terre, des combattants à la recherche d’un idéal inatteignable, d’actions entreprises malgré, et d’une certaine façon aussi, pour leur stérilité.

C’est tout simplement la révolte prise dans sa pureté, par dégoût d’un monde dans lequel on ne peut s’insérer : un mélange de haine, de ressentiment, de rage et d’envie. Il est à ce propos toujours aussi surprenant d’entendre certains nihilistes se réclamer de Nietzsche pour camper une attitude de mépris du monde qui les entoure, au nom de l’esthétique, lorsque l’on relit sa critique de « l’ivresse de puissance » que procure sa « belle indignation » à « l’anarchiste ».

Le combat politique ne saurait se fonder sur la révolte et l’amertume, ni se résumer à fuir dans un monde des idées qui n’a des idées que le nom. En d’autres termes, un combat politique qui serait fondé sur un « Indignez-vous » à la Stéphane Hessel n’amènerait qu’à réduire ses défenseurs au statut d’idiots utiles d’un système qui les méprise, et les force à se définir uniquement par rapport à ce qu’ils veulent renverser
La révolte n’est que fiel déversé à la face d’un monde qui n’attend ce prétexte pour ne pas avoir à écouter : en résumé, il importe de combattre pour, et non de combattre contre.

Combattre pour la légitimité…

Machtiern