En 1964, en publiant La Cité et l’homme, Léo Strauss plaçait le nœud de la question politique dans l’inévitable tension existant entre l’homme, en tant que sa fin d’animal rationnel lui est propre – de la même manière que le salut est individuellement l’affaire de chacun –, et la Cité, dans la mesure où l’homme, en tant qu’animal politique, n’atteint pas seul la fin qui lui est propre – de la même manière que le principal commandement du salut est la loi de charité qui fait dépendre le salut individuel d’un ensemble de relations et non d’un parcours spirituel égoïstement solitaire. De cette tension découle logiquement un questionnement sur la nature même de la communauté politique, censée garantir la liberté de l’homme et sa spécificité propre sans l’annuler dans une masse interchangeable, tout en organisant une vie en commun sans laquelle l’homme ne peut réaliser sa fin. Le volume État et communautés entend donc proposer au lecteur quelques réflexions sur cette question centrale, dans la continuité de la pensée classique.
Cet ouvrage est composé des conférences données lors de la trente-troisième session de l’Université d’été Saint-Louis. Le thème qui avait alors été choisi entendait ouvrir un champ nouveau aux études légitimistes, en adoptant une perspective différente de celle que proposent le Manifeste légitimiste et l’Introduction à la Légitimité: ces derniers ouvrages, en effet, ont pour ambition de poser les fondements de la pensée légitimiste à l’intention de néophytes et offrent à leurs lecteurs une synthèse des premiers principes de la réflexion politique. Dans cette perspective, ils s’attachent principalement à illustrer et à démontrer la rupture historique et conceptuelle entre tradition et modernité et à illustrer cette rupture, sur le plan politique, comme une crise des institutions, en prenant principalement pour champ d’investigation le cas français, dans la lignée des grands juristes de la seconde moitié du XXème siècle. Le présent ouvrage n’entend pas frapper d’obsolescence les études qui le précèdent, mais leur apporte un complément en les utilisant comme tremplin pour penser différemment la crise contemporaine de la politique.
Ainsi, les deux premières études s’attachent à reconsidérer la rupture entre pensée classique et pensée moderne en opposant, à la «été», concept inventé par Marcel De Corte pour décrire la Modernité comme un processus de dissolution du corps social, le «commun» comme fondement non tant de toute société d’Ancien Régime que de toute communauté véritable. La troisième étude, en abordant la question des «», s’efforce principalement de démontrer que les conditions de réussite de ces corps intermédiaires ne sont pas tant politiques que sociales, et reposent également sur une saine conception de la vie en communauté, offrant ainsi une illustration historique de la notion de «commun».
Le quatrième chapitre, en considérant la notion historique d’Empire à partir des cas des empires ottoman et austro-hongrois, permet d’envisager la traduction institutionnelle d’une réflexion sur les communautés en considérant l’imbrication de communautés plurielles au sein d’un ensemble impérial, dans un cadre à la fois postérieur à la rupture historique de 1789, différent de la monarchie française et même, pour partie, extérieur aux pays chrétiens. La cinquième étude, quant à elle, s’attache à constater le défaut qui frappe les systèmes organiscistes, coupables d’une lecture erronée de la classique «organique», en soulignant la méprise sous-jacente relative à la vie en société; enfin, la dernière étude vise à offrir une critique originale du libéralisme, en explorant son contenu philosophique et sa valeur religieuse propres.
Le volume ainsi constitué cherche à équilibrer les perspectives historique et philosophique au sein d’un ensemble dont l’objectif est avant tout de réhabiliter la vie en société: de ce fait, la critique de la Modernité, et c’est certainement là le principal mérite de cet ouvrage, ne découle pas de son opposition vis-à-vis d’une tradition conceptuelle ou politique, mais de la mise en lumière des erreurs monumentales qu’elle véhicule relativement à la vie en commun, et dont l’identification a pour conséquence logique la réhabilitation de la pensée politique classique. Les rafistolages des sociétés modernes pour rétablir le «-ensemble» ou l’«citoyen» manifestent ainsi, à nos yeux, la faillite de l’état face aux communautés, c’est-à-dire l’échec des régimes modernes à concilier la nature sociale de l’homme sans nier sa liberté issue de sa qualité d’être raisonnable.
Synthèse sur la question? Certainement pas! Un tel ouvrage collectif, composée de courtes études, ne peut viser honnêtement à clore un sujet aussi vaste: qu’il soit question de redécouvrir certains auteurs, comme Marcel De Corte dont la mise à l’honneur dans la première étude vient instiller chez le lecteur le désir de le découvrir par lui-même, ou que soient posés les fondements d’une critique originale, parce que totale, du libéralisme contemporain, il s’agit plutôt d’ouvrir une porte, en donnant à voir au lecteur, qu’il soit légitimiste ou non, tout ce que les études politiques ont encore à lui apporter.
Guillaume Seneschal
Table des matières
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La Cité et l’homme chez les Classiques et les Modernes
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Restaurer le Bien commun
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Les corporations
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La notion historique d’Empire
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Aux sources de l’État moderne
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Le libéralisme: une «politique?
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