À l’opposé des monarchies traditionnelles fondées sur la transcendance de la loi naturelle et divine, les régimes de la modernité se fondent tous sur l’immanence, autrement dit sur le refus de toute loi extérieure à la seule volonté de l’homme.
Aussi ne faut-il pas s’étonner que le refus de l’homme de respecter les lois de la nature conduise le monde à toujours plus de chaos, de destructions et d’injustices au gré de décisions arbitraires. En réalité ces décisions sont prises par un tout petit nombre et appliquées quels que soient les résultats électoraux. La démocratie est un régime truqué que les idéologues de tous bords ont instrumentalisé et qui n’a jamais profité aux peuples mais aux plus riches. Nous ne leurrons donc pas : une réponse électorale à ce délitement de la France que nous connaissons depuis plus de deux cents ans n’est guère possible. Il ne saurait y avoir de solution qu’institutionnelle.
uclf.org : Pouvez-vous nous présenter les principes défendus par l’UCLF et ce qui doit être entendu par le terme de Légitimité ?
MF : L’Union des Cercles Légitimistes de France défend la monarchie traditionnelle qui a construit notre pays à travers les siècles, autrement dit : la monarchie absolue de droit divin. Encore doit-on s’expliquer sur cette expression.
La monarchie est absolue, car le roi est pleinement souverain. L’unité de commandement garantit l’unité du Pays, elle protège le bien commun contre les appétits individuels et les lobbys de toutes sortes — ceux-là mêmes dont nous souffrons tant aujourd’hui. À l’opposé de l’élu l’intérêt du roi est lié à celui du Pays dans la durée, car en bon père de famille il cherche naturellement à transmettre à son fils successeur un royaume pacifié et prospère.
Mais absolu ne signifie pas arbitraire ou sans limites, et un roi n’obtient l’obéissance libre de ses sujets que si ses lois sont conformes aux lois du bon comportement humain, communes à tous les hommes, autrement dit à la loi naturelle, ou loi de droite raison 1. À cette condition le pouvoir devient autorité, soit étymologiquement : une puissance bienveillante qui fait grandir, qui s’efforce que chaque sujet réalise sa nature humaine à l’instar du souhait de tout père de famille pour ses enfants. Or, n’est-ce pas la volonté du Créateur que toute créature accomplisse sa nature ?
On comprend alors pourquoi, tout comme l’autorité paternelle sur la famille, l’autorité politique du roi sur la cité est pareillement reconnue de droit divin. Bonald explique en effet :
Nous ne voyons le droit divin que dans la conformité des lois sociales aux lois naturelles dont Dieu est l’auteur 2.
N’est-ce pas grâce à la soumission publique à une loi transcendant sa volonté propre que le chef barbare franc Clovis parvient à asseoir sa royauté auprès des autres peuples fraîchement conquis, même les non catholiques 3 ? Ses contemporains ont en effet bien compris que, par son baptême, le roi se liait à la loi du Créateur. Quelle meilleure garantie morale pour obtenir justice et paix par-delà d’inévitables antagonismes culturels ? Quelle meilleure façon de voir son identité respectée ?
Dans la monarchie française, ce premier engagement public se perpétue avec le serment du sacre. Le roi jure d’établir la justice en gouvernant selon la loi naturelle, et il reconnaît institutionnellement la suzeraineté de Jésus-Christ. Aussi devient-il légitimement « lieutenant de Dieu » et réalise-t-il pleinement la phrase de saint Paul :
Le prince est pour toi ministre de Dieu pour le bien 4.
En effet, on tient là la source de la légitimité. Si, est légal ce qui est conforme à la loi ; est légitime ce qui est conforme à la loi juste. Or qu’est-ce que la loi juste sinon la loi conforme à la loi naturelle du Créateur ? Mgrde Ségur précise :
[Gouvernement] légitime, c’est-à-dire conforme à la loi de Dieu et aux traditions du pays 5.
Ce que confirme la philosophe Hannah Arendt :
La source de l’autorité dans un gouvernement autoritaire est toujours une force extérieure et supérieure au pouvoir qui est le sien ; c’est toujours de cette source, de cette force extérieure qui transcende le domaine politique, que les autorités tirent leur autorité, c’est-à-dire leur légitimité, et celle-ci peut borner leur pouvoir 6.
Et elle ajoute :
L’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté 7.
Ainsi la légitimité permet, non seulement l’obéissance libre des sujets, mais plus encore, leur amour de l’autorité.
Dans une formule quasi mystique — quoique un peu ambiguë 8 — Blanc-de-Saint-Bonnet résume tout ce qui précède :
La légitimité des rois est l’anneau par lequel les nations se rattachent à Dieu pour demeurer vivantes et honorées 9.
Quel homme aujourd’hui incarne ce principe de Légitimité pour la France et pourquoi ?
En France, le roi est désigné par les Lois fondamentales du Royaume qui forment une constitution non écrite, issue de la coutume et jamais violée. Par exemple, l’une de ces lois — la Loi d’Indisponibilité de la Couronne — empêche quiconque, et le roi lui-même, de désigner ou d’écarter un successeur, ou même d’abdiquer. Le principe de non-contradiction des lois de succession, ainsi que leur intangibilité, a rendu l’institution monarchique très stable et a permis à la famille capétienne d’édifier ce qui constitue aujourd’hui notre pays. Le prince est bien le principe de la « nation », n’en déplaise aux nationalistes.
Remarquons d’ailleurs que le caractère coutumier des Lois fondamentales ancre celles-ci dans la loi naturelle. En effet saint Thomas note, en citant Cicéron :
L’origine première du droit est œuvre de nature ; puis certaines dispositions passent en coutumes, la raison les jugeant utiles ; enfin ce que la nature avait établi et que la coutume avait confirmé, la crainte et la sainteté des lois l’ont sanctionné 10.
Et, à l’instar de Colbert de Torcy — ministre de Louis XIV —, nos ancêtres reconnaissaient la part providentielle de l’origine des Lois fondamentales, ainsi que le trésor inestimable qu’elles constituent :
Suivant ces lois, le prince le plus proche de la couronne en est héritier nécessaire … il succède, non comme héritier, mais comme le monarque du royaume … par le seul droit de sa naissance. Il n’est redevable de la couronne ni au testament de son prédécesseur, ni à aucun édit, ni a aucun décret, ni enfin à la libéralité de personne, mais à la loi. Cette loi est regardée comme l’ouvrage de celui qui a établi toutes les monarchies, et nous sommes persuadés, en France, que Dieu seul la peut abolir 11.
La constitution de la France monarchique désigne clairement aujourd’hui Louis de Bourbon, duc d’Anjou, aîné des Capétiens, descendant direct de Louis XIV, plus connu sous le nom de Louis XX.
Engagé à l’échelle internationale dans la défense de la famille naturelle 12, le prince Louis est aussi très conscient de ses responsabilités envers la France et le rappelle régulièrement, comme en février de cette année :
En assumant, comme mes prédécesseurs, cette place de successeur légitime, je suis un homme politique… Mais encore faut-il s’entendre sur le terme homme politique. En royauté, l’homme politique est celui qui est au service de son pays, qui l’incarne dans la durée. Le roi, parce qu’il était sacré, n’exerçait pas seulement une fonction de gestion des hommes et des choses, mais d’abord un service dû à ceux qu’il dirigeait. Cet aspect religieux était très important puisqu’il garantissait [contre] les dérives, notamment celles menant à la tyrannie qui est l’exercice du pouvoir pour les seules fins de celui qui l’exerce 13.
En 2020, la République démocratique fêtait ses 150 ans d’existence, elle semble être un système politique acquis dans les mentalités. De ce fait pourquoi chercher à promouvoir et à restaurer un système politique symbolisant pour la plupart de nos contemporains l’archaïsme ?
À l’opposé des monarchies traditionnelles fondées sur la transcendance de la loi naturelle et divine, les régimes de la modernité se fondent tous sur l’immanence, autrement dit sur le refus de toute loi extérieure à la seule volonté de l’homme. Ils réalisent bien en cela l’idéal d’autonomie défini par Kant :
L’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi 14.
Et dès le commencement, la Révolution proclame son affranchissement vis-vis de l’autorité de Dieu et de Sa loi naturelle, comme le souligne l’article III de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 :
Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
Coupée de la Source de sa légitimité, l’autorité ne peut plus être justifiée, elle perd sa substance et devient alors synonyme de « pouvoir » sans limites. Max Weber est l’un des seuls théoriciens à avoir tenté de justifier théoriquement l’origine des pouvoirs modernes. Et dans la définition qu’il donne de ce pouvoir, il en révèle le caractère arbitraire et amoral :
[Le pouvoir] signifie toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre les résistances 15.
Dès lors, la modernité va osciller entre deux formes de pouvoir arbitraire antagonistes et hostiles, mais susceptibles toutes deux de réaliser l’idéal d’autonomie de l’homme selon la devise maçonnique ordo ab chaos :
– Une forme démocratique dissolvante (chaos), dont la quête de l’égalité et l’éradication de la moindre trace d’autorité suscitent des oppositions artificielles entre des catégories sociales elles-mêmes artificielles (hommes/femmes, homos/hétéros, ouvriers/patrons, Blancs/Noirs, enfants/parents, vieux/jeunes, droite/gauche…). Jules Ferry déclare :
Qu’est-ce d’abord que l’égalité ? C’est la loi même du progrès humain ! C’est plus qu’une théorie : c’est un fait social, c’est l’essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons. En effet, la société humaine n’a qu’une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les inégalités primitives données par la nature 16.
– Une forme despotique unifiante (ordo), hors institution et hors transcendance. C’est le pouvoir de l’homme charismatique, de l’homme providentiel appelé à remettre de l’ordre après l’anarchie causée par la forme démocratique. Ce sont les pouvoirs de Robespierre, de Napoléon, de Lénine, de Mussolini ou de Hitler, qui tendent aussi à réaliser une sorte d’égalité au moyen d’une uniformisation idéologique ou biologique, parfois les deux.
Aujourd’hui, tout le monde peut constater l’état de délabrement dans lequel 150 ans d’application du principe d’autonomie de Kant ont laissé notre société. Après l’uniformisation de l’État-nation niant les identités provinciales, et opérée par la révolution bourgeoise au XIXe siècle, notre pays disparaît à présent dans l’uniformisation mondiale et connaît le grand remplacement de sa population originelle. Par ailleurs, ce n’est plus seulement la religion catholique — pourtant devenue très minoritaire — qui est persécutée, mais l’ensemble de la loi naturelle que l’on s’applique à éradiquer. La désillusion est totale et laisse les peuples désemparés.
On comprend alors qu’avec de tels résultats, et pour éviter toute possibilité de comparaison, ces régimes modernes s’acharnent à faire oublier la rationalité, la beauté, le caractère naturel et l’harmonie des principes naturels qui animent les monarchies traditionnelles. Outre le droit divin, on pense aux principes d’organicité et de subsidiarité qui respectent et conservent les identités, comme le père de famille respecte la personnalité de chacun de ses enfants.
Pourtant, même les royalistes en sont venus à épouser la modernité en abandonnant la transcendance du droit divin. Et l’on retrouve les deux pôles du pouvoir moderne précédemment évoqués dans le type de monarchie qu’ils appellent de leurs vœux. À savoir :
– La monarchie constitutionnelle (en fait, la démocratie couronnée), dans laquelle le roi, sans pouvoir, est le représentant de la nation souveraine, et non le souverain représentant de Dieu.
– La monarchie despotique maurrassienne, où le roi gouverne seul, mais selon des principes strictement positivistes :
Ou ces mots aimés de progrès, d’émancipation et d’autonomie intellectuelle, de raison libre et de religion de la science, ont perdu leur sens défini, ou cet Empirisme organisateur que j’ai rapidement déduit de l’Histoire naturelle des esprits constitue le système religieux et moral, parfaitement laïque, strictement rationnel, pur de toute mysticité, auquel semble aspirer la France moderne 17.
Nulle politique du Trône et de l’Autel n’a jamais fait notre admiration 18.
L’établissement pour la France d’une démocratie chrétienne ne pourrait-elle pas concilier l’attachement de la plupart de nos concitoyens à la démocratie avec l’exigence d’une politique chrétienne ?
Les démocrates chrétiens courent après un tel régime depuis le XIXe siècle. Or, en 1892, le pape Léon XIII leur a donné une occasion extraordinaire de le réaliser avec son Ralliement. N’enjoint-il pas alors les fidèles à s’engager dans l’arène démocratique de la République, même si celle-ci est fondée sur la révolte contre toute transcendance divine ? Mais que s’est-il passé ? Dans un contexte démographique pourtant éminemment favorable, avec une écrasante majorité de Français catholiques, non seulement la République ne s’est pas convertie, mais les persécutions religieuses ont repris de plus belle. Pire ! la poursuite obstinée de cette chimère aboutit aujourd’hui à un catholicisme ultra-minoritaire en France. L’échec pathétique du Ralliement montre bien que la République est bien autre chose que l’expression d’une simple majorité arithmétique ou d’une volonté populaire. Il s’agit avant tout d’une religion, nous dit l’ancien ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon :
La religion républicaine est une religion des droits de l’homme, c’est-à-dire dire de l’Homme qui doit se faire Dieu, ensemble, avec les autres, ici bas, et non pas du Dieu qui se fait homme à travers un seul d’entre nous 19.
Et en effet, Augustin Cochin a bien montré que c’est la pratique même de la forme démocratique qui réalise en nous le paradigme révolutionnaire de l’homme-dieu. Par le suffrage universel, le citoyen ne s’habitue-t-il pas à décider lui-même du bien et du mal indépendamment de toute autorité ? Ne cède-t-il pas alors objectivement à la tentation originelle :
Le serpent répliqua […] « le jour où vous en mangerez [de ce fruit], vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal » 20.
Par ailleurs, quel pourrait être le statut des autres religions et des agnostiques dans une démocratie chrétienne ? Au nom de quoi pourrait-on leur imposer son caractère chrétien ? Que se passe-t-il en effet si les chrétiens deviennent minoritaires ? Pour toutes ces raisons, tant pratiques que théoriques, on voit mal comment un tel régime pourrait exister. En trouve-t-on d’ailleurs la moindre trace pérenne dans l’histoire ?
Les démocrates-chrétiens ont été les victimes de leurs propres illusions. En s’imaginant que les catholiques devaient désormais penser et agir dans la cadre de la modernité institutionnelle et idéologique, ils ont été les meilleurs agents d’une acculturation des catholiques : les uns sont devenus libéraux, les autres socialistes, tandis que la foi s’est affadie chez tous jusqu’à disparaître complètement, remplacée par un vague humanisme. En adoptant la modernité politique, la démocratie chrétienne a largement préfiguré le modernisme religieux.
Nous sommes dans une année présidentielle qui a vu l’émergence d’un candidat hors-parti : Éric Zemmour. Quel regard portez-vous sur cet homme, mais surtout sur ses idées, son programme ?
Éric Zemmour, sur nombre de sujets, n’hésite pas à mettre courageusement les pieds dans le plat du politiquement correct. Son côté gladiateur — affrontant seul la meute hurlante de la bien-pensance — révèle une force de caractère et impose un certain respect.
Pourtant, ces qualités personnelles ne doivent pas faire oublier son attachement à la République et à l’État-nation jacobino-napoléonien héritier de 1789, ce qui en fait en réalité le chantre conservateur de la Révolution d’avant-hier.
Par ailleurs, que peut-on espérer de son action au sein des institutions républicaines ?
L’expérience montre que, faute de principes, le conservateur ne parvient qu’un temps à freiner la dynamique corrosive progressiste. À la tête d’un pays, un conservateur ne peut offrir qu’un répit, jusqu’aux élections suivantes, où son action sera immanquablement présentée sous le plus mauvais jour, et permettra ainsi une avancée révolutionnaire bien plus importante encore. À moins que ce conservateur ne décide de mettre fin au système, mais tel ne semble pas être le projet du démocrate Zemmour.
Les quelques points intéressants que peut contenir le programme d’un Zemmour, d’un Dupont-Aignan ou d’un Asselineau, ne font pas de ces hommes les champions d’une politique vraiment chrétienne. Remettent-ils en cause ne serait-ce que la laïcité de l’État ? Quelle est exactement leur position sur l’avortement ? Il y a 130 ans, ces hommes auraient assurément été classés par les catholiques à l’extrême gauche de l’échiquier politique … Ce simple constat peut faire réfléchir, tout de même !
Bref, il est bon de ne pas se leurrer : une réponse électorale à ce délitement de la France que nous connaissons depuis plus de deux cents ans n’est guère possible. Il ne saurait y avoir de solution qu’institutionnelle.
Est-il envisageable que le légitimisme redevienne en ce siècle une école politique à part entière ? Le duc d’Anjou pourrait-il être celui qui tracerait les contours d’une politique naturelle et chrétienne pour notre temps ?
La légitimité est, en France, la plus ancienne doctrine politique existante, puisqu’on a vu qu’elle était née avec le baptême de Clovis. Ses principes ont animé la monarchie traditionnelle pendant plus d’un millénaire, et ils se vivaient alors de façon tellement naturelle qu’il était presque impossible de concevoir autre chose. Mais l’impensable est arrivé avec la rupture révolutionnaire de 1789, dont il est indéniable que les paradigmes ont suscité l’enthousiasme. En effet, la Révolution a d’abord séduit par son caractère de nouveauté, mais aussi par sa religion du progrès d’une humanité autonome, capable d’établir par elle-même un paradis terrestre en remplaçant l’autorité par un système social. Malgré les horreurs que les idéologies révolutionnaires antagonistes ont générées au long du XXe siècle, malgré l’inéluctable glissement totalitaire du socialisme, du nationalisme, et aujourd’hui du libéralisme — comme il se présente à présent sous nos yeux —, malgré tout cela, la Révolution a envahi toute la planète. Et elle s’efforcera d’enfanter de nouveaux wokismes et de nouveaux fascismes tant qu’il restera une parcelle de loi naturelle et d’autorité à détruire.
C’est donc une guerre d’extermination et d’oubli qui est menée contre la société naturelle et chrétienne. Or quand on est en guerre, on prend conseil auprès de chefs de guerre, tels que le général chinois Sun Tzu, qui dans son Art de la guerre dit :
Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait ; qui ne connaît pas l’autre mais se connaît sera vainqueur une fois sur deux ; qui ne connaît pas plus l’autre qu’il ne se connaît sera toujours défait 21.
L’urgence est donc d’abord de s’armer pour la bataille culturelle, et pour ce faire, il faut retrouver le sens des mots. N’oublions pas que les Lumières ont réussi la Révolution au terme de 60 ans de travail de sape des références culturelles de l’Ancienne France. Les « philosophes » ont su qu’ils avaient gagné quand leurs détracteurs ont commencé à utiliser leur vocabulaire et à nourrir des complexes démocratiques, à l’instar d’un Louis XVI qui doute du droit divin et finit par reconnaître la « nation » souveraine en prêtant serment à la Constitution de 1791.
Les tenants de la légitimité sont donc engagés dans la bataille de formation et de diffusion de la culture traditionnelle. Ils témoignent d’abord auprès des monarchistes et des catholiques dont ils constatent malheureusement la profonde acculturation, ainsi que l’ignorance quasi totale de la nature de l’ennemi et de ses armes. Ils mettent en place des cellules d’étude pour former des autorités qui pourront témoigner à leur tour dans le cadre de leur vie familiale et professionnelle.
Le travail est immense et peut revêtir bien des formes. Le cercle de Nîmes par exemple, outre la formation qu’il dispense, a choisi de témoigner à la manière des légitimistes du XIXe siècle, grâce à une œuvre de bienfaisance (la Poule au pot) qui distribue des repas faits main aux sans abri. Ce type d’action est appelé à se répandre, mais il réclame un engagement autrement plus exigeant que l’illusoire efficacité du bulletin de vote dans l’urne, ou que le collage d’affiches à slogans destiné à s’attirer les faveurs d’une opinion publique versatile.
Quant au duc d’Anjou, lui sait parfaitement qui il est, et ce qu’il représente. Conscient des enjeux de la guerre culturelle, il brave l’opinion publique et lutte à son niveau en témoignant sans complexe. À la question de ce qui le distingue des autres hommes politiques, il répondait très récemment :
Ma liberté. Je ne dépends de personne ni d’aucun groupe. C’est l’hérédité qui m’a désigné c’est-à-dire quelque chose qui échappe totalement au commerce des hommes et aux combinaisons politiciennes. C’est la Providence qui fait qu’on est roi ou chef de Maison. Cela donne une légitimité qu’aucun autre pouvoir ne peut avoir. C’est cela la souveraineté. […]
J’assume mes engagements dynastiques en participant comme successeur légitime des rois de France à de nombreuses cérémonies de tous ordres auxquelles je suis convié notamment par les différentes autorités religieuses, politiques, culturelles, économiques. Ce rôle de témoin me parait essentiel, car c’est ainsi que la tradition monarchique peut s’inscrire dans la durée et rester un espoir pour demain 22.
À chacun donc de suivre son exemple, et de l’aider à rétablir notre bien commun en se formant pour pouvoir témoigner dans son milieu respectif, et ainsi toucher les intelligences et les cœurs.
Quels sont les maîtres à penser du légitimisme, et quels ouvrages conseilleriez-vous pour s’initier à la doctrine légitimiste et au combat contre-révolutionnaire ?
Nos maîtres à penser sont multiples tant la réflexion sur la légitimité est universelle. On trouvera dans nos études de nombreuses références à des auteurs païens pré-chrétiens comme Confucius, Aristote ou Cicéron, qui ont été d’extraordinaires promoteurs de la loi naturelle.
Bien entendu, nos sources principales viennent de l’Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que des exégètes chrétiens comme saint Augustin et saint Isidore de Séville. Pareillement, saint Thomas d’Aquin s’avère incontournable pour comprendre la société naturelle et chrétienne, de même que Bossuet.
Concernant la réflexion sur le phénomène révolutionnaire, outre les grandes encycliques, citons Louis de Bonald, Augustin Cochin et son disciple Antoine de Meaux, qui est plus concis. Mais les travaux d’Hannah Arendt, et surtout ceux d’Eric Vœgelin sont indispensables pour bien comprendre la nature de la modernité.
Quant à nos maîtres historiens et juristes — qu’ils soient spécialistes de la France monarchique ou de la Révolution —, ils sont bien trop nombreux pour tous les citer.
Ces auteurs sont ceux que fréquentent traditionnellement les légitimistes de l’UCLF dans leurs réunions de formation. Chaque année, les études des cercles sont synthétisées lors de l’université d’été Saint-Louis, puis diffusées sur le site viveleroy.net ou uclf.org.
Les Éditions Vive le roy viennent de publier le livre Introduction à la légitimité qui concentre nombre de ces travaux. Toutes les questions politiques fondamentales sont abordées, sans éluder les questions actuelles, et on y trouvera là une bibliographie abondante. De quoi armer intellectuellement toute personne désireuse de combattre pour la restauration concrète d’une société naturelle et chrétienne, sous l’autorité ultime et effective du Christ-Roi.
Références
↑1 | La loi naturelle est cette loi dont on se réclame quand on prend l’autre à témoin en commençant sa phrase par « ce n’est pas normal que ». Elle est cette norme transcendante supposée connue et acceptée par l’autre sans aucune concertation préalable. |
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↑2 | Louis de Bonald.Réflexions sur la Révolution de Juillet 1830 et autres inédits, DUC/Albatros, 1988, p. 44 et p. 82. |
↑3 | On pense aux Wisigoths et aux Burgondes de religion arienne. |
↑4 | Épître aux Romains, XIII, 3-4. |
↑5 | Mgrde Ségur, Vive le roi ! Haton éditeur, Paris, non daté, p. 13 |
↑6 | Hannah Arendt, La crise de la culture, Gallimard, col. Folio-essais, Paris, 2007, p. 130. |
↑7 | Ibid. p. 140. |
↑8 | En effet, la formule est contestable si on entend qu’une nation est douée de volonté propre. |
↑9 | Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité, Casterman, Paris, 1873, p. 443. |
↑10 | Cicéron, cité par saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia-IIæ, La loi, question 91, traduction française par M.-J. Laversin O.P. , Éditions de la revue des jeunes, Société Saint Jean l’Évangéliste, Desclée et Cie, Paris Tournai Rome, 1935, p. 38-39. |
↑11 | Jean-Baptiste Colbert de Torcy, ministre de Louis XIV, Correspondance de Bolingbroke, tome II, p. 222, cité par Th. Deryssel, Mémoire sur les droits de la maison d’Anjou à la couronne de France, Fribourg, 1885, p 20. |
↑12 | Le duc d’Anjou parraine le Congrès mondial des familles. |
↑13, ↑22 | Entrevue accordée par le duc d’Anjou au site La fugue, « Je crois plus en la Providence qu’en l’homme providentiel », février 2022, www.lafuguejournal.com/l-homme-providentiel-interview. |
↑14 | Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, trad. H. Lachelier, Deuxième section, L’autonomie de la volonté comme principe suprême de la moralité, Hachette et C, 3 édition, Paris, 1915 p. 85. |
↑15 | Max Weber, Économie et société, Paris, Pocket, coll. « Agora », 1995, t.1, p.95, cité par Javier Barraycoa, in Du pouvoir …, Éd. Hora Decima, 2005, p.18. |
↑16 | Jules Ferry, « Discours sur l’égalité d’éducation », Discours et opinions de Jules Ferry, tome I, Armand Colin, Paris, 1893, p. 284. |
↑17 | Charles Maurras, Romantisme et Révolution, « Trois idées politiques, Sainte-Beuve ou l’empirisme organisateur », Éd. Nouvelle librairie nationale, Paris, 1922, p. 261-262. |
↑18 | Charles Maurras, Action française, 18 août 1942. |
↑19 | Vincent Peillon, Une religion pour la République, la foi laïque de Ferdinand Buisson, Seuil, Janvier 2010, p. 34-35-36. |
↑20 | Genèse, III, 5, Bible de Jérusalem, Cerf/Verbum Bible, 1988. |
↑21 | Général Sun Tzu, L’Art de la Guerre, traduit et présenté par Jean Lévi, Paris, Hachette, 2000, p. 61. |