Lu dans Valeurs actuelles, 05/01/2020.
Entrevue avec Jean Raspail par Anne-Laure Debaecker au sujet de son dernier livre Le roi est mort, vive le roi.
Et si les vertus de la royauté offraient une solution au marasme qui englue notre pays ? Une proposition pleine d’audace avancée par Jean Raspail. Entretien.
Un roi solitaire, en exil. Comme ce « roi au-delà de la mer », le roi Stuart Jacques II réfugié à la cour de France à qui ses partisans écossais rendaient hommage en levant leur verre au-dessus d’une carafe d’eau lors des toasts pour le roi. C’est à ce roi de France que s’adresse Jean Raspail, entre imaginaire et réalité, pour oser réaffirmer le principe royal et permettre à un autre royaume d’émerger. On limite bien trop souvent l’écrivain et explorateur à son prophétique Camp des saints. Pourtant, sa plume est riche de roman d’aventures, d’exploration, d’épopées fantastiques et de récits de voyage. Celui qui reçut, entre autres, le grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, en 2003, offre avec le Roi au-delà de la mer, suite de Sire, un livre empreint de liberté et de poésie, reflétant son amour des causes (presque) perdues. Sa réédition enrichie d’une introduction, Le roi est mort, vive le roi, permet ainsi de redécouvrir un appel plein de souffle à adopter la voie de la fidélité à son âme, ses rêves et son devoir.
Valeurs actuelles. Dans votre livre, Le roi est mort, vive le roi, vous observez que « la République a même brisé les familles, la Famille, elle a tué les pères, le Père, l’honneur, le respect, et même le passé et sa transmission ». Est-ce pour cela que vous êtes royaliste ?
Jean Raspail. Ce sont des raisons qui font que je n’apprécie pas la République, mais ce ne sont pas les principales. Celles-ci tiennent à ses origines : pourquoi la République s’est-elle permis de supprimer la royauté de façon sanglante ?
Je conseille, tout particulièrement aux royalistes, pour réfléchir, d’aller visiter la nécropole des rois de la basilique de Saint-Denis. Si les gisants de pierre subsistent dans toute leur beauté, l’ossuaire royal n’est que pauvreté et dénuement. C’est la République qui, en octobre 1793, a profané les tombeaux, dégradé les corps avant de les balancer dans une fosse commune comme des ordures. De Dagobert Ier aux Bourbons, ce fut une multitude de princes, de princesses, rois et reines qui ont vu leurs sépultures violées par la fureur révolutionnaire. Je ne veux pas être au service d’une république qui a commencé d’une façon aussi épouvantable !
Je ne pense pas qu’avec un tel passé et sur de telles bases la République puisse être source de félicité. On ne peut être un partisan complet de la République quand on songe à la façon dont elle s’est déployée. Elle ne s’est d’ailleurs jamais excusée de ses forfaits. Même au bicentenaire de la mort de Louis XVI, le 21 janvier 1993, aucun haut personnage de la République n’a ouvert la bouche ou ne s’est rendu sur la tombe de Louis XVI. Le seul qui, à sa façon, l’a salué est François Mitterrand, en autorisant le grand rassemblement que j’avais organisé place de la Concorde et qui avait auparavant été interdit par le gouvernement. Finalement, notre président d’alors a estimé qu’il fallait laisser faire ce rassemblement. Il avait le sens de l’histoire.
L’étiolement de l’âme des Français est dû à la disparition progressive du sacré dans la vie de quasiment toute la population.
La royauté offre à vos yeux de bien meilleures vertus.
La royauté est une continuité. Depuis Hugues Capet et même avant, une suite de souverains se transmet par famille ou mariage cette royauté. Non seulement ils se transmettent leurs devoirs de roi auxquels ils sont éduqués dès l’enfance, mais on peut aussi supposer qu’ils sont suivis par une certaine grâce divine qu’il ne faut pas confondre avec l’expression idiote “de droit divin” [NOTE de UCLF : Cette remarque n’engage que son auteur, pour notre part, nous souscrivons au droit divin tel qu’il a été défini par Louis de Bonald]. C’étaient des souverains préparés à leur rôle depuis leur plus jeune âge, un peu aidés par le ciel pour œuvrer au bien commun de la France sur la durée et non pour servir leurs intérêts sur sept ou cinq ans. Le roi ne peut d’ailleurs pas avoir de programme, car il ne gouverne pas lui-même : il donne les orientations à prendre, comme la reine d’Angleterre [NOTE de UCLF : Là encore, nous ne suivons pas Jean Raspail, car dans la monarchie traditionnelle qu’il regrette, le roi est le « représentant de Dieu », au lieu que dans les monarchies parlementaires, le roi est le représentant du peuple.]. Quand on aura un roi de France, je redeviendrai complètement français ! Le roi incarne le pays, or, là, nous avons des dirigeants qui n’incarnent rien du tout… Je ne fais pas de la politique. Je pense juste qu’un roi peut apporter une solution, une espérance différentes aux problèmes de notre temps.
La royauté a bâti une colonne vertébrale magnifique pour notre pays. Il faut la rétablir. Il reste des descendants du roi en France et il ne faut donc pas désespérer, car la royauté est encore possible en France. C’est pour cela que j’ai écrit ce livre, pour réintégrer l’idée du roi et tout ce sentiment royal en chacun de nous, qui a existé et existe encore. Cette royauté est intrinsèquement liée à la religion chrétienne et à ses valeurs. Elle s’accompagne d’une certaine transcendance. C’est pourquoi il est très difficile qu’un royaume de France ne soit pas chrétien, et tout le problème est là actuellement…
Dans votre ouvrage, vous remarquez que « nous n’avons pas besoin d’un prince de magazine, nous avons besoin d’un prince de vitrail ». Que voulez-vous dire par cela ?
Il doit avant tout avoir les qualités morales et intérieures nécessaires pour qu’il soit digne de cet héritage qu’il a reçu. Ce n’est pas en allant se faire photographier dans les réceptions mondaines qu’il y arrivera. Le roi de France ne doit pas être l’un de ces héritiers du gotha évoluant dans un monde d’apparence, limités à promouvoir une image. Le roi, au fond, devrait être un homme de prière, d’une certaine profondeur, car il est lié, nous l’avons vu, à une certaine transcendance.
Est-ce parce que nous avons perdu tout rapport au sacré que nous ne comprenons plus le principe royal ?
Personne ou presque, effectivement, ne le comprend. Les Français ne savent plus ce que c’est. Il manque ainsi de l’âme à notre peuple que je qualifie dans l’ouvrage de “bernard-l’ermite” recroquevillé dans sa coquille… Autrefois, le roi était considéré comme le père du pays, il en était l’incarnation. C’était la France à lui tout seul. Le président de la République est un élu de quelques Français, ce n’est pas la France.
Cet étiolement de l’âme est effectivement dû à la disparition progressive du sacré dans la vie de quasiment toute la population. Les répercussions en sont catastrophiques. Certaines familles et certains religieux, comme les moines, conservent cette étincelle du sacré. Je pense d’ailleurs que ce sont ces derniers qui nous sauveront. Certains perdent, hélas, de vue que tout être humain porte en lui quelque chose de sacré sans le savoir.
« Sur mon honneur et avec la grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Église et ma patrie » : la promesse scoute, quand même, a de la gueule !
« Un roi laïc, ça n’existe pas. » Pourquoi ?
Parce que cette notion du sacré est particulièrement présente dans la fonction royale, même si peu de souverains actuels semblent en avoir conscience. Lors d’une visite en France du prince Charles d’Angleterre, en 1992, la journaliste Anne Sinclair lui avait demandé si la royauté n’était pas démodée de nos jours. Il lui avait répondu : « Madame, dois-je vous rappeler que dans la royauté il y a une parcelle de sacré ? » Quelques princes, heureusement, ont encore le sens de ce principe royal.
Les rois catholiques sont sacrés à l’église depuis Clovis. Beaucoup voudraient la suppression de cette cérémonie et de cette coopération entre le pouvoir royal et le sacré, mais si Dieu existe, il le faut. Même ceux pour qui le sacré n’est qu’une imagination supérieure, car le sacre favorise l’exercice des vertus. Un des exemples récents est le roi Baudouin de Belgique. Il avait pris une décision qui lui valut beaucoup d’ennemis : refusant de signer la loi dépénalisant l’avortement, ce qu’exigeait la Constitution belge, il abdiqua quelques jours. Pourtant, ce fut un roi très aimé de son peuple, amour qui s’est fortement manifesté à sa mort. Le sacré était dans l’esprit du roi Baudouin…
Vous relevez que certains hommes et femmes conservent cette étincelle du sacré…
Outre des familles et des religieux, j’observe effectivement que certains mouvements de jeunes, comme le scoutisme, renouent avec cette notion. « Sur mon honneur et avec la grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Église et ma patrie » : la promesse scoute, quand même, a de la gueule ! Avec ça, on a quelque chose dans le ventre. Certes, on ne peut demander à la totalité de la population française de faire du scoutisme pour renouer avec la transcendance, avec ce besoin de se hausser soi-même, de devenir mieux que l’on est.
Vous appelez de vos vœux un « royaume de France parallèle » consécutif à l’affirmation publique du roi. Aurions-nous besoin de nous créer des communautés, des isolats séparés ?
Des villes, des morceaux de territoire finiront par refuser d’adhérer à la République et se rallieront au roi qui osera se lever. Mais ce royaume parallèle ne s’occuperait pas, au début, de diriger la France et se désintéresserait de la politique pour se consacrer à l’édification de ses propres valeurs. Un exemple que je prends souvent car il est parlant est le Puy du Fou. Il n’a pas de roi, mais offre une France parallèle avec ses propres valeurs, sa communauté, son hymne… de façon spontanée, il a installé en France une province qui se gouverne elle-même, tout en restant français. De même, la Patagonie offre une patrie de rechange aux désillusionnés et rassemble des centaines de sujets. Tous deux forment des isolats. Ce terme ethnologique désignait des tribus obligées de fuir leur habitat d’origine pour aller construire une autre base afin d’éviter ceux qui les menaçaient. En France, sans que nous ne le remarquions forcément, naissent ainsi de nombreux isolats. Ils sont notamment nombreux dans la jeunesse : ce sont des groupes qui ne font pas parler d’eux mais qui partagent des valeurs et des façons de penser communes.
C’est pourquoi, si un roi surgit, il trouvera des sujets parmi toutes ces personnes qui ont adopté, d’une façon ou d’une autre, une communauté, une patrie de rechange. Car beaucoup déplorent l’érosion des valeurs, de la transmission et de la notion de famille dans notre société. Il y a plus de déçus en France que de patriotes.
Je suis un révolté qui ne fait pas de révoltes.
Quel regard portez-vous sur la société actuelle ?
Je suis un révolté qui ne fait pas de révoltes. Je ne déteste pas les Français, mais je ne me sens pas solidaire des modes et morales actuelles, de ce progrès que l’on veut étendre à l’infini. Je préfère me situer aux confins, comme une sorte de cavalier observateur. La société de nos parents était bien plus saine que l’actuelle. Il est certain que Mai 68 a fait un mal horrible à la société française. C’est une de ces épidémies hystériques parisiennes qui a défiguré la capitale et empoisonné la France. De la Révolution française à Mai 68 en passant par la Commune, les Parisiens ont fait beaucoup de mal au pays. C’est pour cela que je ne vote pas aux élections municipales.
Vous concluez par l’insurrection face au nouvel ordre mondial qui s’avance…
Je n’appelle pas à une révolution, à une protestation qui prenne une forme violente. On ne pourra changer de société que quand il y aura une volonté de changement qu’on peut estimer comme étant une insurrection de l’esprit. Une révolte intérieure qui amène à s’élever contre ce qui attaque nos valeurs. Le cœur et l’âme se révoltent. La Manif pour tous est l’illustration de cette nouvelle insurrection.
Le roi est mort, vive le roi, Jean Raspail, Via Romana, 176 pages, 20 €.
SOURCE : Valeurs actuelles