À bien des égards l’ancien candidat aux élections présidentielles peut susciter l’admiration : courage, compétence, opiniâtreté, réel souci du bien commun. Cependant, si François Asselineau nous a habitué à une pensée claire, il manifeste malheureusement quelques lacunes au sujet du droit monarchique français quand il s’exprime sur la mauvaise querelle que la branche cadette Orléans cherche à la branche aînée d’Anjou.
Un homme charismatique
Au cours d’un direct-vidéo qu’il accorde chaque quinzaine à ses sympathisants, le président de l’Union Populaire Républicaine (UPR) a été interrogé sur l’hypothèse d’un retour de la monarchie en France. En guise de réponse, M. Asselineau s’est livré à une interprétation pour le moins singulière de la querelle opposant Louis, duc d’Anjou à son cousin, Henri d’Orléans.
Il ne s’agit pas ici de dresser le panégyrique de François Asselineau. Cependant, l’ancien candidat à l’élection présidentielle peut se satisfaire d’avoir fait fédérer en dix ans plus de 30 000 Français sur le programme d’une triple sortie de l’Union Européenne, de l’euro et de l’OTAN, malgré un silence médiatique que n’a pas démenti la campagne à l’Élysée de l’année dernière. Souvent conférences et graphiques à l’appui, il a su faire connaître à ses concitoyens les ravages économiques et sociaux de la monnaie commune, la perte quasi-totale de souveraineté de l’État et sa vassalisation aux intérêts géopolitiques des États-Unis.
Des déclarations prenant quelques libertés avec le droit monarchique français
Pourtant, malgré sa rigueur raillée sur les traités européens et la Charte des Nations Unies, l’ancien droit public français semble apparaître comme le talon d’Achille du haut fonctionnaire. Ceci le conduisant à deux reprises — la dernière fois en mai — à en exposer une interprétation erronée. Déjà, quelques mois plus tôt, il avait laissé entendre que le prétendu «comte de Paris», était juridiquement l’héritier légitime au trône de France. L’affaire s’était arrêtée là, M. Asselineau reprochant aux deux princes de ne pas avoir expressément proposé la sortie de l’Union européenne 1.
Ce mois de mai, M. Asselineau, de nouveau prié de s’épancher sur le sujet, est allé plus en avant sur ce qu’il a lui-même défini comme la «querelle des Blancs d’Eu et des Blancs d’Espagne 2» 3 après l’extinction de la branche aînée des Bourbons.
- Primo, il réaffirme que le «comte de Paris» — qu’il nomme «actuel héritier du trône» — apparaît le mieux désigné des deux princes pour accéder à la dignité royale, ne donnant cependant aucun argument susceptible de justifier la légitimité de celui-ci.
- Secondo, il laisse entendre que les légitimistes justifieraient leur fidélité aux Bourbons-Anjou par la tâche originelle qui frappe la branche d’Orléans : le régicide de Philippe-Égalité.
- Tertio, il livre l’argument mainte fois repris des renonciations d’Utrecht en appelant au respect du droit international. La conclusion est catégorique : «Pour la loi française, il semble que ce soit le comte de Paris [qui soit légitime] pour les raisons juridiques que je viens d’évoquer.»
La confusion est totale !
Brève mise au point
La première erreur de François Asselineau est de considérer le légitimisme comme une proposition négative ou plutôt comme une réaction négative à un orléanisme qui serait conforme à la dévolution séculaire de la Couronne de France. Cette vision des choses pourrait être argumentée par l’opposition systématique ou le retrait de la vie publique d’une majorité du personnel politique de la Restauration après la révolution de Juillet et l’avènement de Louis-Philippe. Néanmoins, le légitimisme, que l’on s’accorde à faire naître en 1830, est d’une autre nature. Il n’est pas originellement ni contestation, ni opposition. Il se base sur une affirmation positive : le respect des règles de dévolution de la Couronne, les fameuses Lois fondamentales.
Si les légitimistes refusèrent la royauté d’un Louis-Philippe en 1830 ou d’un «Philippe VII» 4 en 1883, c’est que dès le départ l’ancien droit français désignait l’aîné des Capétiens que demeurait Charles X dans le premier cas et Jean III 5 dans le second. L’inversion tant pour les comportements des ancêtres d’Orléans que pour leur libéralisme ne jouait en réalité qu’un rôle accessoire dans la fidélité des vrais royalistes. Cette observation fait pont à une autre.
Le deuxième point d’achoppement est un rituel dans la formation d’un légitimiste. Un jour ou l’autre, ses contradicteurs le sommeront de prendre en compte les conclusions du traité d’Utrecht (1713) et de rejuger sa fidélité à la branche aînée descendant de Philippe V 6. Il est inutile ici de s’étendre sur les tenants et les aboutissants du texte ; le site viveleroy.fr propose de sérieuses études permettant d’en dégager les enjeux juridiques.
Pour M. Asselineau, la conclusion de ses accords de paix exclurait la descendance de Philippe V de ses droits à la Couronne. Nous connaissons cet argument et nous savons le contrecarrer. La théorie statuaire exclut qu’un roi ou qu’un prince modifie l’ordre de succession, la Couronne étant un patrimoine public et non un bien privé à la disposition de quiconque : elle est juridiquement indisponible ! Il est dommage que François Asselineau ne se soit pas replongé dans sa conférence sur l’Histoire de France dont il aime tant faire la promotion. Il se serait souvenu qu’il avait fait mention de ce caractère indisponible au sujet du traité de Troyes de 1420 qui déshéritait le dauphin Charles. Il y avait d’ailleurs incorporé la célèbre formule : «Ce n’est pas la Couronne qui appartient au Roi, c’est le Roi qui appartient à la Couronne.»
De telles questions mériteraient une exhaustivité que le format de l’article ne permet pas. Néanmoins, ces problématiques sont pour tout royaliste de bonne foi prioritaire à expliciter. Nous soutenons la légitimité de Louis de Bourbon car ses droits sont en conformité avec les lois fondamentales de la monarchie française, non parce que Philippe-Égalité a fait couler le sang de Louis XVI et Bonaparte celui du duc d’Enghien. L’étude du légitimiste ne saurait faire l’impasse sur ces thématiques sans causer quelques légèretés dans la compréhension de l’ouvrage monarchique qui, n’en déplaise à François Asselineau, n’a pas disparu avec la victoire des républicains sur l’assemblée «conservatrice 7» de 1875.
Théophane Thibault
Références
↑1 | Il est à souligner que le prince Louis n’a jamais exposé de programme politique se cantonnant à l’expression de sa légitimité. Quant à Henri d’Orléans, il est malaisé de dégager ne serait-ce qu’une exquise de proposition dans sa maigre bibliographie. |
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↑2 | Par le vocable « Blancs d’Espagne », on désigne ceux, qui à la mort d’Henri V (1883), ont reporté leur fidélité sur les nouveaux aînés, les Bourbons-Anjou, en respect de la loi salique. Les « Blancs d’Eu » désignent à l’inverse les partisans du petit-fils de Louis-Philippe, Philippe. Curieux surnom lorsque l’on songe à leur attachement au tricolore ! |
↑3 | On est agréablement surpris qu’un responsable politique sache de nos jours de quoi il retourne. |
↑4 | Dans les milieux orléanistes, « Philippe VII » aurait été le nom de règne du petit-fils de Louis-Philippe après la mort d’Henri V. Dans la perspective du ralliement d’anciens légitimistes à sa cause, il avait préféré ne pas ressusciter de mauvais souvenirs en prenant le titre de « Louis-Philippe II ». |
↑5 | Jean, comte de Montizon, devint le 24 août 1883, l’aîné des Capétiens. Fils du premier roi carliste d’Espagne, il se désintéressa de ses droits tant espagnols que français. Il mourut à Brighton en 1887. |
↑6 | Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, devint roi d’Espagne après l’extinction des Habsbourg espagnols en la personne de Charles II. Bien que conforme au testament du défunt, cette disposition déplut à l’Angleterre et aux Provinces-Unies et fut à l’origine de la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714). |
↑7 | Sur le terme de « conservatisme », se reporter à notre article « Le Dictionnaire du conservatisme passe à côté du légitimisme » sur ce même site. |