Danger : déferlante woke en vue !

C’est un danger réel, nouveau, auquel nous devons faire face aujourd’hui. Les marques et les idées d’une surprenante révolution, essentiellement culturelle, multiforme, envahissent depuis quelques mois l’espace public à une vitesse vertigineuse. Pour chacun d’entre nous, il est impératif d’apprendre à mieux connaître la nébuleuse « woke », afin de nous préserver de ses idéologies, afin de trouver les moyens de nous y opposer.

Le « wokisme », venu d’Amérique, est assimilable à ce que l’on appelle également en France la « lutte intersectionnelle ». « Woke » signifie « éveillé ». Le woke agit en faveur de minorités selon lui opprimées, dominées, ostracisées. Il entend unifier la lutte de ces minorités qui sont, dans le monde occidental, les Noirs, les femmes, les gays, les lesbiennes, les transgenres… En France, ce sont aussi les musulmans, « victimes d’islamophobie ».

Le woke rêve d’un monde « inclusif », où toutes ces minorités, victimisées à outrance, trouveraient la place qui leur est due, celle que des hommes, et plus particulièrement « les hommes blancs », leur interdiraient d’occuper.

Au cœur de cette nouvelle révolution, la lutte des sexes, la lutte des « races », et même celle des générations, ont presque relégué la lutte des classes aux oubliettes. Comme les historiens marxistes des années soixante revisitaient l’histoire en focalisant leur attention sur la seule lutte des classes, leurs « intellectuels » militants réinventent l’histoire à la lumière de leurs propres fantasmes, connaissant les conclusions de leurs recherches avant même de les avoir entamées.

Exemples de folie ordinaire

Les plus virulentes des féministes s’ingénient à démontrer que nous vous vivons dans une société patriarcale, imprégnée par ce qu’elles appellent « la culture du viol » ; les plus engagés des historiens et sociologues affirment que l’homme blanc continue d’exercer sa domination sur les populations noires, que la décolonisation des mentalités ne fait que commencer… Les plus acharnés des militants profitent d’un fait divers pour diaboliser l’ensemble de la police, instrument d’un pouvoir oppressif, et sortir dans la rue pour déboulonner les statues, casser, détruire tout ce qui peut symboliser une civilisation à abattre. Les plus stupides s’indignent du baiser du prince charmant à Blanche Neige endormie (pensez donc, un « baiser non consenti » !), osent écrire « faut-il parler de Dieu·e aux enfants 1 », ou conclure un discours par un tonitruant « awomen », pour ne pas dire « amen ».

Dans la catégorie de ce qui pourrait, en d’autres circonstances, prêter à rire, citons encore le Planning familial qui parle fréquemment aujourd’hui « des étudiant·es enceint·es » (il s’agit ici, tout en s’appuyant sur la théorie du genre, de ne pas « invisibiliser » les femmes qui se sentent hommes…, des « hommes », donc, qui peuvent tomber « enceints »).

Un genou à terre !

Au-delà de ces exemples extrêmes — mais de plus en plus fréquents —, d’autres signes et marques du wokisme se multiplient à très grande échelle : le 2 juin, lors du match de football France – pays de Galles, les joueurs des deux équipes ont mis un genou à terre avant d’entamer la partie, geste symbolisant leur soutien au mouvement Black lives matter, qui lutte contre « le racisme systémique contre les Noirs » (et ce genou à terre est en train de se généraliser sur les terrains de foot du monde entier) ; telle grande librairie ouvre un rayon « féminisme, genres et LGBT+ » ; telle chaîne de télévision, ou telle entreprise, publie une note interne imposant à ses salariés d’utiliser désormais l’écriture inclusive, afin de mieux lutter contre toute forme de sexisme ; une école de commerce bretonne adopte une charte de bonne conduite pour lutter contre toute forme de discrimination…

La Sorbonne, quant à elle, a organisé en avril le colloque « Fondements de la discrimination contemporaine, comment agir contre les discriminations à l’Université ? » Toutes les interventions figurant au programme de ce colloque mériteraient d’être mentionnées : « Comment parler des discriminations et du racisme à l’Université pour bâtir une société plus inclusive ? » ; « Parler ou se taire face au racisme vécu : enjeux autour de la parole des personnes “racisées” » ; « L’approche intersectionnelle (genre, classe, « race ») pour analyser la production des discriminations dans le monde du travail » ; « Qu’est-ce que la discrimination fondée sur la religion ? Le cas de l’Islam »…

Tout avance très vite ! Médias et réseaux sociaux servent de relais à ce conglomérat d’idéologies putrides, soigneusement enrubannées de tant de « bons sentiments égalitaristes » qui en favorisent la propagation.

Porosité d’un libéralisme peureux

Toutes ces idées ont initialement été développées par les franges les plus radicales des milieux féministes, LGBT et gauchistes. Nombre d’entre elles sont peu à peu reprises par le monde libéral qui préfère se mettre au diapason de toutes ces considérations généreuses et inclusives, plutôt que de risquer de passer pour sexiste ou raciste et d’y perdre des plumes. De grandes entreprises adoptent l’écriture inclusive, font connaître aux médias leur nouvelle charte pour lutter contre les discriminations en leur sein… Mieux vaut cela que prendre le risque de perdre des parts de marché. Mieux vaut appartenir au camp des « progressistes » qu’à celui des « oppresseurs » ou des « réactionnaires ».

Une écriture inclusive au cœur du wokisme

De son côté, le point médian de l’écriture inclusive est brandi lui aussi comme un symbole, celui de la lutte des femmes pour plus d’égalité. Il est partout : dans les journaux, les publicités, les documents administratifs…

Certes, le ministre de l’Éducation nationale vient d’interdire son utilisation dans les écoles… Quatre syndicats d’enseignants ont appelé dans la foulée leurs adhérents à contrevenir aux instructions du ministre ! Plus dramatique encore, cette fameuse circulaire Blanquer n’interdit nullement l’écriture inclusive, seulement l’usage du point médian. Elle encourage explicitement les enseignants à « participer à la lutte contre les stéréotypes de genre » et à utiliser d’autres éléments d’écriture inclusive, tels que les doublets (« étudiants et étudiantes », « salariés et salariées »), propres eux aussi à mettre à mal un élément important de notre langue, à savoir l’utilisation du masculin en tant que genre non marqué.

La « démasculinisation » du français fait bien partie du programme woke. Notre langue est elle aussi visée par ce que d’aucuns appellent désormais la « cancel culture ». Elle est, tout comme les autres langues occidentales, au cœur de la tourmente.

Le linguiste et universitaire Jean Szlamowicz l’avait très bien compris dès 2018, lorsqu’il publia Le sexe et la langue, ouvrage dans lequel il démontait, un à un, tous les arguments des partisans de l’ensemble de l’écriture inclusive. Non, notre langue n’a jamais été sexiste ; non, les grammairiens et l’Académie française n’ont jamais tenté d’invisibiliser les femmes comme certains l’affirment aujourd’hui… Ni au XVIIe siècle, ni après. Et le linguiste dit bien dans son livre qui sont les propagateurs de cette écriture : les militantes du féminisme intersectionnel, les militants wokes.
Rien de plus logique, alors, que de retrouver Jean Szlamowicz parmi les membres de l’Observatoire du décolonialisme !

Des universitaires tentent de réagir

Cet Observatoire a été créé voici quelques mois par des universitaires soucieux d’alerter l’opinion publique. Ces professeurs et chercheurs mettent en garde contre « une vague identitaire sans précédent au sein de l’université », contre des idéologues qui entendent « déconstruire l’ensemble des savoirs », contre une « conquête méthodique d’une hégémonie culturelle qui se traduit par une emprise croissante sur les médias ». Ils pointent du doigt les menaces et intimidations dont sont victimes certains professeurs qui résistent à l’invasion des idées nouvelles. Ils énumèrent les diverses composantes de cette vague woke (intersectionnalité, écriture inclusive, décolonialisme…) et en dénoncent l’islamophilie et l’antisémitisme.

Et il est vrai que des tenantes du féminisme intersectionnel sont bien plus enclines à s’insurger contre un « abominable sexisme occidental » qu’à dénoncer les conditions de vie des femmes dans certains pays arabes. Cette alliance d’une nouvelle vague féministe avec des branches radicales de l’islam n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes du phénomène woke en France. Mais pour les promoteurs de la lutte intersectionnelle, les hommes juifs appartiennent bien au patriarcat blanc qu’il faut abattre. Les universitaires de l’Observatoire, pour beaucoup d’origine israélite, l’ont bien compris.

Idéologues contre idéologues

Ne nous faisons donc pas trop d’illusions à propos de cet Observatoire… Ses membres, certes, font preuve d’un certain courage. Ils ont réussi à se faire entendre, à pointer du doigt un danger qui guettait l’université et notre société tout entière. Ils ont réussi à trouver quelques médias pour les appuyer, entre autres le Figaro, le Point, Marianne. Et leurs ennemis du moment les traitent déjà de « réactionnaires », d’« islamophobes », de « maccarthystes », de « fascistes », eux qui ne cessent pourtant d’agir au nom d’une République et d’une laïcité qu’ils ont quasiment déifiées.

Ces universitaires ne se rendent même pas compte qu’ils ont durant des décennies utilisé les mêmes mots contre ceux qui ne pensaient pas comme eux. Ils reprochent à leurs adversaires wokes d’investir tous les postes universitaires, mais oublient qu’ils ont eux-mêmes longtemps refusé l’entrée de l’enseignement supérieur aux historiens catholiques, aux philosophes thomistes. Ils se trouvent aujourd’hui dépassés par un concentré d’idéologies virulentes qui ont trouvé leur terreau dans un magma d’idées et de concepts révolutionnaires qu’ils ont souvent eux-mêmes alimenté par leurs travaux. Ils se trouvent aujourd’hui tout étonnés d’avoir des difficultés à contrecarrer le prêt-à-penser de leurs contradicteurs qui emploient des mots aussi consensuels que « justice », « progressisme »… des mots contre lesquels il n’est pas grand-chose à dire si l’on ne veut pas être rejeté illico dans le « camp du mal ». Mais eux-mêmes continuent d’utiliser, dans la même optique, d’autres mots tout aussi pernicieusement magiques : « liberté », « égalité », « fraternité », « laïcité »…

Les « simples » conséquence d’un pourrissement

Si leurs yeux pouvaient se dessiller ne serait-ce qu’un instant, ces universitaires constateraient comme nous que cette inquiétante poussée de fièvre révolutionnaire s’inscrit dans la continuité de la déchristianisation de la France (à laquelle ils ont participé) ; qu’elle s’inscrit dans la suite logique de décennies de libéralisme philosophique, de perte des valeurs, de décérébration et d’endoctrinement de générations d’élèves passés par les bancs de l’Éducation nationale et de cette université républicaine qu’ils défendent bec et ongles ; dans la suite logique, aussi, du pourrissement des mœurs et de l’obscurcissement des esprits.

Les idéologies wokes ne font que consacrer la bêtise humaine dans son refus du monde réel et dans son refus de Dieu.

À propos de l’« islamo-gauchisme »

Il est à noter que c’est l’un des fondateurs de l’Observatoire du décolonialisme, Pierre-André Taguieff, qui a été le premier à élaborer le concept d’islamo-gauchisme. C’était bien avant la révolution woke, au début des années deux mille.

Ce concept, s’il incarne une certaine réalité, est toutefois réducteur aujourd’hui. Il est en tout cas très loin de pouvoir définir à lui seul ce que représente l’ensemble du wokisme. Ce dernier et l’islamisme radical ont trouvé en France un terrain d’entente, mais demeurent tout de même bien distincts.

En revanche, cette notion d’islamo-gauchisme semble marquer une nouvelle ligne de fracture dans le paysage politique français. Deux camps sont en train de se constituer : le premier est laïciste, farouche défenseur du droit au blasphème ; le second est woke, et se prétend défenseur des opprimés. Le mouvement féministe lui-même s’est scindé en deux, avec d’un côté les féministes universalistes, de l’autre les féministes intersectionnelles (wokes).
Chacun est sommé de choisir son camp… Celui qui condamne les « islamophiles », ou celui qui stigmatise les « islamophobes ».

Du pessimisme de Rod Dreher…

Ce petit tour d’horizon pourrait sembler très alarmiste. L’écrivain américain Rod Dreher l’est bien plus encore. Il vient de publier, aux éditions Artège, Résister au mensonge, vivre en chrétiens dissidents.

Dans une interview accordée au site Boulevard Voltaire, cet écrivain évoque le caractère radical de la révolution woke. Pour lui, il est certain qu’elle possède cette ambition totalitaire « de contrôler l’intégralité de notre culture ». Il en parle cependant comme d’un totalitarisme différent des précédents. C’est un « totalitarisme doux », qui « utilise essentiellement le chantage au confort afin de maintenir en place les populations actuelles. »
Et Rod Steiner se montre très pessimiste : « Je ne pense pas qu’il soit possible de gagner face à ce totalitarisme. »
Il invite les chrétiens à se préparer à résister comme d’autres l’ont fait sous la domination communiste. Il les invite à mener tout d’abord une résistance intérieure, parce qu’« il faut vivre pour la vérité, ne pas vivre de mensonges et s’attendre à ce que l’on puisse battre cette mouvance ».

… À une légitime espérance

La révolution woke n’est pourtant que la continuité de la révolution contre laquelle se battent les légitimistes depuis deux siècles. Il sera peut-être très difficile de la contenir dans les mois à venir, mais pas question de partir battus d’avance !

Rod Dreher évoquait ci-dessus les chrétiens dissidents de l’URSS… Alors peut-être est-il particulièrement opportun de conserver en tête cette pensée de Soljenitsyne :

Je n’ai pas la force, tout petit individu que je suis, de m’opposer à l’énorme machine totalitaire du mensonge, mais je peux au moins faire en sorte de ne pas être un point de passage du mensonge.

Individuellement, cette pensée doit nous habiter : apprenons à connaître les mensonges wokes pour éviter de nous laisser contaminer par le moindre d’entre eux.

Collectivement, continuons à mener le combat pour la vérité, comme nous l’avons toujours fait, habités par l’espérance de la victoire du Sauveur, parce que cette victoire nous a été promise.
Continuons, enfin et toujours, d’œuvrer pour la restauration du trône et de l’autel, seule à même de pourfendre la révolution, qu’elle soit laïciste… ou qu’elle soit woke.

Références

Références
1 Réformés, revue protestante suisse, février 2021 (version PDF de la revue).